mercredi 6 mai 2009

Union européenne - Russie : la lutte d'influence

Analyse, par Natalie Nougayrède

LE MONDE | 06.05.09 | 13h25 • Mis à jour le 06.05.09 | 15h13

e "partenariat oriental" que lance l'Union européenne, sous présidence tchèque, jeudi 7 mai à Prague, a été conçu pour tendre la main, sans leur offrir la perspective de l'adhésion, à six pays de l'ex-URSS : l'Ukraine, la Biélorussie, la Moldavie, la Géorgie, l'Arménie, l'Azerbaïdjan. Il ouvre notamment la voie à des facilitations de visa et à un mécanisme de libre-échange. C'est au lendemain de la guerre en Géorgie, en août 2008, que les Européens avaient décidé d'accélérer la mise en place de ce programme.

L'UE est en réalité engagée dans une lutte d'influence avec la Russie sur ses pourtours. Elle cherche à déployer dans ces régions son "soft power" face à une Russie prompte à user de toute une gamme offensive pour asseoir son autorité sur ce que le Kremlin a appelé, en 2008, sa "zone d'intérêts privilégiés".

Le "partenariat oriental" prend forme au moment où les défis se sont accumulés. La crise économique frappe durement ces pays (sauf l'Azerbaïdjan, qui bénéficie de réserves liées à ses ventes d'hydrocarbures). Le PIB de l'Ukraine, le plus grand des six Etats concernés, devrait plonger en 2009, malgré l'aide apportée par le FMI.

Les secousses politiques n'ont pas manqué dans la région, jouant, à des degrés divers, au profit de la Russie. Les retombées de la guerre russo-géorgienne n'ont pas fini de se faire sentir, avec une annexion rampante, par Moscou, des régions séparatistes d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud. En Ukraine, la crise du gaz, en janvier, a attisé les tensions politiques, tandis que Moscou plaçait ses pions dans le secteur énergétique du pays. En Moldavie, les scènes d'émeutes à Chisinau, le 7 avril, ont mis en exergue la vulnérabilité de ce pays face aux agissements russes, et rendu plus aléatoire le dialogue avec les Européens. En premier lieu avec la Roumanie, accusée par le régime moldave d'avoir fomenté un "coup d'Etat".

La Russie a dénoncé le "partenariat" offert par l'UE, le décrivant comme une intrusion dans sa sphère d'influence naturelle. Elle exerce d'énormes pressions sur les pays de son "étranger proche" pour entraver le processus - par exemple, sur l'Azerbaïdjan, pays où elle cherche à obtenir une préemption sur l'ensemble des réserves gazières.

Les Européens ont réagi en assouplissant leurs demandes vis-à-vis de ces régimes où le respect des critères démocratiques laisse à désirer (seuls deux d'entre eux, l'Ukraine et la Géorgie, tiennent des élections dans des normes jugées acceptables par les observateurs européens). La question des valeurs a été mise au second plan, au profit des intérêts géopolitiques. La Biélorussie, Etat autoritaire, a ainsi été invitée dans le "partenariat", à condition que son président, Alexandre Loukachenko, ne reconnaisse pas les "indépendances" de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud, comme la Russie l'a poussé à le faire.

Le dossier se corse encore si l'on considère que les pays auxquels le "partenariat" est destiné avancent des demandes différentes. Seules l'Ukraine et la Géorgie aspirent ouvertement à devenir membres, un jour, de l'UE. L'Ukraine est plus intéressée par l'"accord d'association" qu'elle négocie avec Bruxelles que par un programme s'adressant à un ensemble d'Etats disparates.

La faiblesse institutionnelle de tous ces Etats fournit des armes à l'influence russe. Le risque d'instabilité interne est exploité. La Russie joue à la fois de sa capacité de nuisance et en faisant miroiter des soutiens financiers. Mais son aptitude à tirer vers elle ces pays repose plus sur l'intimidation que sur une force d'attraction. Les effets de la crise économique russe, d'une ampleur importante, devraient aussi jouer en sa défaveur.

Face à cela, les régimes concernés font monter les enchères. Ils jouent de la rivalité entre l'UE et Moscou. C'est manifeste, notamment, dans le cas de la Moldavie, où le régime communiste semble attendre de savoir quelles offres financières l'UE mettra sur la table avant de procéder aux gestes d'ouverture politique qui sont réclamés de lui.

L'UE, de son côté, pèche par ses divisions internes. L'Allemagne, talonnée par la France, tient à préserver une stratégie d'"engagement" auprès du régime russe, considérant que la confrontation est stérile. Paris a aussi eu de grandes réserves à l'égard du "partenariat oriental", y voyant une concurrence à son projet d'"Union pour la Méditerranée", qui peine à décoller. La stratégie en direction des voisins de l'Est a été conçue et défendue, avant tout, par la Pologne et la Suède.

Il reste, dans ce tableau, un grand absent : les Etats-Unis. La stratégie de l'administration Obama en direction des pays du pourtour oriental de l'Europe et de ceux du Caucase ne semble pas encore avoir été élaborée. La relation bilatérale avec Moscou est valorisée - lancement de discussions sur le désarmement nucléaire -, car les priorités sont ailleurs, en Afghanistan et sur le dossier iranien.

La Russie profite pour l'heure de cet effacement relatif des Américains. Elle pousse son projet de "nouvelle architecture de sécurité" en Europe dans une stratégie de remise en cause du statu quo sur le continent. La lutte d'influence ne fait que commencer.


Natalie Nougayrède (Service International)
Courriel : nougayrede@lemonde.fr.
Article paru dans l'édition du 07.05.09

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