lundi 13 juillet 2009

Les manifestations en Moldavie dans le cadre des relations roumano-moldaves depuis 1989

Écrit par Alina-Roxana Girbea
http://www.nouvelle-europe.eu/index.php?option=com_content&task=view&id=679&Itemid=62

En avril 2009, les Européens ont découvert la Moldavie et les médias se sont passionnés deux semaines durant de la crise que le pays traversa à la suite des élections législatives, soupsonnées de fraude. De nombreuses manifestations ont eu lieu dans les capitales européennes, mais que s'est-il passé au juste ? Pourquoi un tel embrasement ? Quelle influence de la Roumanie voisine dans cette crise ?

Les faits : des élections fraudées ?

Le 7 avril 2009, des manifestations ont embrasé Chişinãu, la capitale de la Moldavie, suite à l’annonce du résultat des élections parlementaires du 5 avril, qui donnait une majorité de 49,5% au Parti des Communistes de la République moldave. Ce résultat se traduit par 60 sur 101 sièges pour le Parti des Communistes dans la seule chambre du Parlement moldave, suivi par le Parti Libéral et le Parti Libéral Démocrate (chacun ayant 15 sièges) et l’Alliance « Notre Moldavie » avec 11 sièges. La manifestation a commencé de façon spontanée surtout par des étudiants et des lycéens, qui proclamaient des slogans comme « Nous voulons des élections libres ! » ou « À bas les communistes ! ». Si les protestataires ont été paisibles dans la matinée, ils ont dégénéré vers 12h00 avec des jeunes qui ont commencé à jeter des pierres sur les bâtiments de la Présidence et du Parlement, en entrant et mettant le feu par la suite. Les opposants soutiennent que des employés du service intérieur de sécurité se sont infiltrés dans la foule pour inciter à la violence et discréditer la protestation dans son berceau.

La raison invoquée par les manifestants pour leurs protestations a été le soupçon de fraude lors des élections. En effet, en dépit du fait que les observateurs internationaux de l’OSCE aient déclaré les élections conformes aux normes internationales, les protestants ne sont pas d’accord avec cette décision. Des témoins invoquent des événements comme la présence sur les listes électorales de personnes décédées, l’apparition bizarre des agriculteurs au vote après 19h00 (alors que d’habitude les agriculteurs votent le matin) ou bien des exercices très durs pour les soldats après le compte des votes dans les sections de vote spéciaux ont montré que pas tous avaient voté pour le Parti communiste. Par ailleurs, des membres de l’équipe de l’OSCE, comme la députée européenne Emma Nicholson, ont déclaré par la suite que le rapport a été trop favorable à cause de la présence des observateurs russes dans l’équipe de supervision. Elle invoque, par exemple, le fait que des citoyens moldaves se sont vu refuser le passage de Transnistrie en Moldavie par l’armée russe.

Qui plus est, les analystes mettent en avant la difficulté de voter pour les Moldaves à l’étranger. En effet, entre 700.000 et un million de Moldaves du total des 3,8 millions d’habitants de la Moldavie vivent et travaillent à l’étranger et l’argent qu’ils envoient en Moldavie dépassent, selon certaines estimations, le budget annuel du pays. En février 2009, neuf organisations non-gouvernementales représentant les Moldaves à l’étranger avaient envoyé une lettre ouverte au Président de la République moldave demandant le droit de vote des citoyens moldaves habitant en dehors des frontières du pays. Ils dénonçaient, entre autres, l’absence d’une section de vote en Irlande, ou bien le fait qu’en Italie, où se trouveraient approximativement 200.000 Moldaves, seulement deux bureaux de vote sont ouverts. L’absence de la possibilité de voter par poste (existante dans d’autres pays européens) a été également condamnée. Finalement, seulement 14.000 Moldaves se sont présentsé au vote le 5 avril, soit environ 15% des Moldaves de l’étranger. Selon un observateur international des élections, à l’Ambassade moldave à Paris, ont voté un peu plus de mille personnes, et parmi elles, seulement une quarantaine aurait voté pour les Communistes.

Une autre discussion est centrée autour du seuil électoral fixé autour du 6% pour les élections de 2005, rabaissé selon une incitation de l’OSCE et du Conseil de l’Europe à 4% et refixé à 6% avant les élections de 2006. L’analyste Igor Bortan de l’Association (Moldave) pour la Démocratie Participative avait calculé qu’en fixant le seuil à 6% les Communistes gagneraient autour de 11 sièges en plus par rapport à un seuil de 4%. On invoque également une couverture médiatique largement inégalitaire qui a favorisé le Parti des communistes.

La Roumanie et la Moldavie : « Je t’aime, moi non plus … » ?

(Courte chronologie à la fin de l’article)

Pendant la période communiste, une vaste politique de dénationalisation de la population roumaine de Moldavie (estimée à 70% en 1930, lorsqu'elle faisait partie de la Grande Roumanie) a été menée : l’enseignement de la langue roumaine en tant que telle a été interdit dans les écoles, des populations russophones et ukrainophones ont été encouragées à s’établir en RSSM (République socialiste soviétique de Moldavie), surtout en Transnistrie. Le "roumain" était enseigné alors sous le nom de "moldave" avec un alphabet cyrillique.

En 1989, les régimes communistes commencent à s’effondrer dans les deux pays. En août 1989, la langue roumaine est déclarée langue officielle par le Soviet suprême de la RSSM sous la pression du mouvement du Front populaire de Moldavie, qui est à la base des mouvements d’opposition au pouvoir soviétique. Suit la chute du régime communiste roumain en décembre 1989 qui a engendré un mouvement unioniste dans une partie de la population roumaine et moldave. Le « pont de fleurs » sur le Prut (nom donné aux événements de 16 juillet 1991 quand 240 000 Moldaves ont traversé la frontière avec la Roumanie sans formalités) est un exemple symbolique de ces premières réactions enthousiastes. Le Premier ministre moldave Mircea Druc a même présenté sa candidature pour devenir Président de la Roumanie (dans l’idée d’une union personnelle des deux États comme celle réalisée par l’élection d’un domn commun au XIXe siècle par la Valachie et la Moldavie), mais a obtenu seulement 2,75% des votes. Celui qui a emporté les élections fut l’ancien communiste, qui a fait ses études à Moscou, Ion Iliescu, qui ne voulait pas gêner ni Gorbatchev ni Eltsine en posant la question de la Moldavie.

La Moldavie proclame son indépendance en 1991 et la Roumanie est le premier pays à le reconnaître. Pourtant, à l’époque, le scénario allemand de la réunification par traité entre deux pays indépendants n’est pas encore totalement exclu. Ce scénario gène les minorités de la République moldave et le 2 septembre 1990 les habitants de Transnistrie proclament l'indépendance, avec les soutiens de Moscou et de Kiev. Le conflit entre les deux entités escalade en une guerre civile en 1992. Suite à ce conflit, la position de la Roumanie devient plus modérée et le « Traité de fraternité et d’union politique » qui était en train d’être négocié entre les deux pays devient le « Traité politique entre la Roumanie et la Moldavie ». De décembre 1993 à 1995, les relations avec la Roumanie connaissent un net refroidissement.

L’année 1994 peut être vue comme l’année charnière dans les discussions sur la réunification. En février, les élections parlementaires en Moldavie sont remportées à 80% par les anti-unionistes. En mars, un référendum confirme l’indépendance de la Moldavie et l’adhésion à la CEI est ratifiée par procédure d’urgence. La réaction roumaine est prompte : en avril, la Chambre de Députés de Roumanie déclare que le vote du Parlement moldave « annule de manière irresponsable le droit de la nation roumaine à vivre dans l’intégrité de son espace culturel ». Le Parlement moldave répond le lendemain en officialisant les notions de langue moldave et du peuple moldave (pourtant les élèves et les étudiants continuent à apprendre « la langue et la littérature roumaines » dans les écoles et les universités). La Constitution de la République moldave adoptée en juin 1994 reconfirme l’indépendance de la République de Moldavie. L’idée de la réunification postcommuniste des deux pays a été renvoyée dans la poubelle de l’Histoire, même si elle reste vivante dans certains cercles. Ainsi, en février 1995, le porte-parole du Ministère roumain des Affaires étrangères admet une « baisse d’intensité des relations de la Roumanie avec la République de Moldavie ».

À partir de 1995, la Roumanie a adopté, selon Ion Dinu (docteur en géopolitique, Paris IV), une double approche : d’un côté, elle soutient son indépendance et son intégrations dans les organismes internationaux et, de l’autre, elle promeut une intégration économique et la création d’un espace culturel commun. Cependant, le discours de la réunification n’est pas encore disparu de l’espace public roumain ou moldave. Ainsi, en mars 2008, le Président roumain Basescu parlait de la nécessité de corriger la décision prise par l’URSS et l’Allemagne nazie et du devoir des personnes des deux coté du Prut de dépasser cette division temporaire et de se retrouver au sein de l’Union européenne. En effet, la Stratégie de Sécurité Nationale de la Roumanie parle de la relation spéciale avec la Moldavie qui est basée sur le principe « une seule nation – deux États ». Du coté oriental du Prut, la « Conception de la politique nationale de la République de Moldavie » adoptée en 2003 parle du peuple moldave. Cependant, les partis d’opposition en Moldavie prennent une autre position sur cette question. Le Parti national libéral (PNL) a utilisé lors des élections de 2007 le slogan « Deux États, un peuple, une citoyenneté commune ». Dorin Chirtoaca, le Maire de Chisinau et un des chefs du Parti libéral (PL) a déclaré publiquement que 80% de la population de la Moldavie est roumaine, alors que les statistiques déclarent plutôt un chiffres de 65%. Le Parti populaire chrétien démocrate utilisait sur son site Internet en août 2008 la formule « deux États roumains – la Roumanie et la République de Moldavie ». Ces positions expliquent pourquoi pendant les manifestations d’avril le message anti-communiste a été brouillé par un prétendu message pro-unification.

Cependant, les principales problématiques qui ont marqué les relations bilatérales à partir de la deuxième moitié des années 1990 des deux pays ont été l’obtention de la nationalité roumaine par les citoyens moldaves et la perméabilité de la frontière commune. La perméabilité de la frontière n’a pas posé de problème durant une dizaine d’années pendant lesquelles les deux gouvernements ont mené une politique de frontières ouvertes. La situation a changé le 1er juillet 2001, quand la Roumanie a introduit la demande d’avoir un passeport pour entrer sur le territoire roumain dans le cadre du processus d’adhésion à l’Union européenne. Par la suite, l’obligation de visa a été introduite en créant de nombreuses et longues files d’attente devant l’Ambassade roumaine de Chisinau. Ces files ont été renforcées par le fait que certains pays occidentaux qui attirent une forte migration saisonnière de Moldaves (comme l’Espagne) n’ont pas d’Ambassade en Moldavie, l’Ambassade la plus proche étant celle de Bucarest.

Un problème encore plus épineux, mis en avant par les événements récents, reste la politique ambiguë d’obtention de la citoyenneté roumaine de la Roumanie envers les citoyens Moldaves. La loi sur la citoyenneté roumaine adoptée en 1991 accorde le droit de citoyenneté roumaine à tous les ex-citoyens roumains, ainsi qu’à leurs descendants (jusqu’à la troisième génération) qui ont perdu leur citoyenneté avant 1989 pour des raisons extérieures à leur volonté. Vue que la Moldavie a fait partie de la Roumanie pendant l’entre-deux guerres, la plupart de ses citoyens peuvent faire appel à cette loi. La question a vu son importance soulignée par l’intégration de la Roumanie à l’Union européenne en 2007. En effet, dans un sondage réalisé en 2005, 85% des personnes déclarant une volonté d’obtenir la citoyenneté roumaine mentionnaient comme raison la liberté de travailler dans l’UE et seulement 14% ont invoqué leur identité roumaine. Ces chiffres sont renforcés par le recensement national de 2004 quand juste 2,2% de la population s’est déclaré comme étant roumaine, alors que 75% s’est dite moldave.

En effet, les peurs invoquées d’une hémorragie massive des citoyens moldaves ne se sont pas avérées. Selon les déclarations du Premier ministre roumain, Emil Boc, en 2008, 10.000 Moldaves ont reçu la citoyenneté roumaine. Pourtant, Basescu, Président de la Roumanie depuis 2004, a eu plusieurs interventions pour soutenir la simplification de la procédure d’obtention de la citoyenneté roumaine par les Moldaves. Les autorités moldaves ont essayé de s’opposer à cette politique en changeant leur propre législation relative à la citoyenneté en interdisant aux personnes tenant une double citoyenneté de tenir une position politique importante (comme Ministre ou Député, Maire ou Préfet) ou de travailler dans la justice et la police. Cette mesure a été toutefois invalidée par la Cour européenne de Droits de l’Homme saisie par les politiciens de l’opposition. Plus récemment, dans le cadre des protestations d’avril, une obligation de visa a été introduite pour la première fois pour les citoyens roumains voulant se rendre en Moldavie. Accusant la Roumanie d’avoir organisé les protestations postélectorales, le Président moldave Vladimir Voronin déclarait le 30 avril : « Ce que l’Union européenne fait à la Moldavie n’est pas bien. Ouvrir l’Europe seulement aux citoyens moldaves qui ont des passeports roumains est humiliant pour le peuple moldave ».

Pour aller plus loin :

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Sur Nouvelle Europe
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Fiche pays : la Moldavie
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Politique européenne de voisinage : qui sont nos voisins ?
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Quand la Russie reprend ses marques en Europe centrale : l’exemple de la Transnistrie
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Vers une révolution 2.0 en Moldavie ?


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Sur Internet
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BBC, “Romania blamed over Moldova riots”
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Euractiv.com, Moldova eyewitness: Troublemakers marred protests
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The Guardian, “Putting Moldova on the map”
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Parliamentary elctions in Moldova, 2009
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Telos, « De Marx ils ont surtout retenu le capital … »


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À lire
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AVRAM Andrei et MULLER Dietmar, « Moldova’s borders with Romania : challenges and perspectives after Romania’s accession to the European Union” en South-East Europe Review, n°3, 2008
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DINU Ion, « La Roumanie et ses voisins de l’ex Union Soviétique » en Nouveaux Mondes, automne 1999
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SOARE Cosmin Marius, « Entre l’Ouest et l’Est, la République de Moldavie » en Revue du Marché Commun et de l’Union Européenne, n° 499, juin 2006


Chronologie des relations roumano-moldaves :


XIVe siècle

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Formation de la Principauté de Moldavie (voir carte)

1504
La Principauté de Moldavie est sous suzeraineté ottomane
1600 – 1601
Michel le Brave unifie les trois principautés de Transylvanie, Valachie et Moldavie
1812
La Bessarabie (partie d’est de la principauté de Moldavie située entre les rivières Prut et Dniestr) est attachée à l’Empire russe par la paix de Bucarest qui règle le conflit russo-turc
1856
Le sud de la Bessarabie est annexé à la Principauté de Moldavie par la paix de Paris qui suit la guerre de Crimée
1862
Formation de l’État roumain par la réunion de la Principauté de Moldavie et la principauté de Valachie
1877
L’État roumain gagne son indépendance après la guerre russo-turque de 1877. Les traités de paix prévoient l’échange du sud de la Bessarabie avec la Dobroudja
1918
La Bessarabie choisit d’intégrer la Roumanie selon le principe d’autodétermination
1924
L’URSS ne reconnaît pas ce choix et décide de créer la République soviétique socialiste de Moldavie (RSSM), située à l’est du Dniestr. La capitale de cet État marionnette fut établie à Tiraspol
1944
Dans le cadre de la Deuxième Guerre mondiale, l’URSS annexe la Bessarabie qui forme avec la RSSM la République socialiste soviétique de Moldavie
1991
Proclamation de l’indépendance de la République de Moldavie
1993
La Moldavie intègre la CEI avec un statut de neutralité

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